Actualités
National

Françoise Gaill, la beauté de la science

Mobilisation
Connaissances & données
Milieu marin

Françoise Gaill, vice-présidente de la plateforme Océan & Climat et présidente du conseil scientifique à l’Observatoire national de l’éolien en mer, a su adapter sa vision de l’infiniment petit à l’infiniment grand. D’une goutte d’eau à l’océan, elle s’engage pour la protection d’une mer qui est notre avenir.

Peut-on être séduit par une goutte d’eau au point d’y consacrer sa vie ? Cela pourrait être le début de l’histoire de Françoise Gaill. Quelques décennies après un premier stage à Roscoff où l’étudiante en biologie découvre la mer, elle parle encore avec fascination, à 75 ans aujourd’hui, de ce premier contact avec la vie contenue dans une goutte tirée de l’océan. « On regardait cette goutte sous le microscope et je trouvais ça très beau, magnifique. Il y a des micro-organismes, un mouvement brownien qui ne s’arrête jamais. Quand vous grossissez, la beauté est à vous couper le souffle. »

L’étudiante à l’université Pierre et Marie Curie se voit ensuite offrir d’effectuer des stages au Muséum national d’Histoire naturelle. Elle trie les invertébrés marins. Ce travail va l’emmener bien au-delà de Paris. Les premières campagnes de recherche sur les grands fonds marins débutent. Elle est appelée à bord. « C’est de la chance, estime-t-elle aujourd’hui, j’étais là au bon moment. » Cet embarquement va tout changer pour elle, venue là un peu par hasard, poussée par la curiosité envers les beautés cachées dans les gouttes d’eau et l’appétence à faire avancer la science en y appliquant une rigueur à toute épreuve. Cette découverte de la vie en mer lui fait passer un cap.

À bord du Jean Charcot, elle rencontre - encore à distance - les abysses. Les fonds sont raclés à l’aide de chaluts. « Il s’agissait d’engins d’un autre âge, c’était très artisanal. » Les espèces des grands fonds sont remontées. Et les découvertes s’enchainent. « C’était le nirvana. C’est génial de pouvoir nommer une nouvelle espèce : cela reste pour l’éternité. » Françoise Gaill entame une thèse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et scrute par le biais d’un des tous premiers microscopes électroniques de France le système digestif des ascidies. La recherche l’absorbe, la curiosité demeure. « Je voulais faire de la biologie théorique. J’ai commencé à travailler auprès du Pr Bouligand sur les cristaux liquides et les analogies avec certaines espèces. » Ses travaux avancent et elle est invitée par des scientifiques américains au moment de la découverte de la vie abyssale autour des sources hydrothermales. « C’est la découverte du siècle. On découvre une vie là où la théorie nous disait que c’était impossible. Personne n’y croyait. »

Ses compétences lui valent un carton d’invitation sur l’un des trois navires de l’expédition. Pour une place à bord du sous-marin qui descend à 2 500 m de fond, c’est autre chose. « Il y avait trois places et il restait une plongée et une seule place. Ça s’est joué à pile ou face avec un autre scientifique. J’étais sûre que j’allais gagner », sourit-elle. Le sous-marin descend vers l’inconnu. « Jules Verne l’avait décrit, mais je ne pensais pas que c’était possible. C’était un moment de bonheur, l’expérience physique de l’exploration du monde. »

C’est aussi à ce moment qu’elle détourne quelques instants le regard de la science pour observer les conséquences de la présence de l’homme sur l’environnement. « Un des chocs que j’ai eus, c’est quand il a été question de développer un tourisme sur ces sources hydrothermales. Pour moi, ce n’était pas possible, c’était une trahison de l’humanité. J’ai senti monter une révolte très puissante. » Un cheminement s’engage et il accompagne l’éclosion d’une notion nouvelle : celle de biodiversité. C’est lorsqu’elle crée au CNRS l’Institut écologie et environnement, un institut interdisciplinaire dont les recherches visent à répondre aux enjeux planétaires posés par le changement global, que Françoise Gaill « bascule complètement ».

« Quand j’ai dû quitter le CNRS, je me sentais en pleine forme, je n’avais pas envie d’arrêter : l’écologie était devenue un virus. » Et la passion de l’océan s’est maintenue. « Dans les discussions sur le climat, ce qui m’énervait, c’est que l’on parlait toujours des forêts et jamais de l’océan. » Avec plusieurs personnes, dont Catherine Chabaud, Romain Troublé, Eric Banel et Patricia Ricard, elle fonde une ONG : la plateforme Océan & Climat (Poc). Il s’agit notamment de faire pression pour intégrer l’océan dans les négociations climatiques. Première grande victoire : l’océan est mentionné dans le préambule de l’Accord de Paris. Ce sont les membres du Poc qui œuvrent aussi pour convaincre le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) de produire un rapport sur l’océan. « C’est une grande réussite, admet celle qui en est aujourd’hui la vice-présidente et présidente d’honneur du comité scientifique. Cette plateforme a été d’emblée internationale. Elle est aujourd’hui incontournable. »

La science est toujours au cœur de sa vision, une science capable de proposer des actions réalisables, concrètes et qui permettent de comprendre les phénomènes qu’il faut résoudre. « Comment l’océan va-t-il se comporter demain compte tenu de la pression qu’on met sur cet environnement et de l’usage qu’on en fait, interroge-t-elle. Si nous n’avons pas cette vision clé de notre vie sur terre, nous altérons son fonctionnement, sa santé ». Elle œuvre au travers de l’Ipos, plateforme internationale pour un océan durable, pour que l’océan dans son ensemble puisse être considéré et protégé au niveau international. C’est aussi le sens de son engagement au sein de l’observatoire nationale de l’éolien en mer. « Je veux en faire un cas d’étude. Nous avons là les moyens de réguler nos actions sur un nouveau domaine. Je trouve ça formidable : nous sommes en train de faire l’avenir. »

Cet interview est extraite de l'Aire marine 60, la lettre d'information de l’Office français de la biodiversité consacrée au milieu marin.

Au sommaire de ce nouveau numéro :

  • A l'heure de la protection de la biodiversité
  • La restauration du milieu marin en marche
  • Françoise Gaill, la beauté de la science

> L'Aire marine 60
> Découvrez tous les numéros de l'Aire marine