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Armand Quentel, « Un autre monde s’ouvre »

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Milieu marin

Marin, syndicaliste depuis près de cinq décennies, Armand Quentel vit avec la mer et ceux qui s’y risquent. Portrait d’un défenseur de l’homme et de l’océan.

Armand Quentel est né sur les bords du Scorff à Lorient il y a sept décennies. Il ne faut pas chercher une dynastie de marins dans son arbre généalogique. Son avenir a peut-être été écrit par une maladie : à cinq ans, il contracte une primo-infection. « J’ai fait le cycle de toutes les institutions spécialisées, sanatorium, préventorium, aérium. J’ai quitté ma famille très jeune. Ça a décidé de ma carrière de voyageur. » Après son retour à Lorient, comme beaucoup de jeunes gens d’après-guerre, il découvre la voile auprès d’un des fondateurs de l’école des Glénans et devient rapidement moniteur de voile.

Le jeune Breton décide alors de devancer l’appel et de rentrer dans l’armée. Ironiquement, ce sera l’armée de l’air ou il apprend à être mécanicien. Il la quitte à 25 ans. Vendeur d’assurances, de maisons, chauffeur de poids lourds et de bus, docker à Brest, vendeur de matériel électrique à Lorient, le jeune père de famille fait bouillir la marmite. Mais la mer l’appelle. « J’ai essayé de faire autre chose, mais il s’avère que c’est là que je me suis senti le mieux. » Il décide de s’embarquer sur un bateau de commerce. « J’avais eu mon CAP d’électricien à l’armée. Avec ça, à l’époque, il suffisait d’aller faire un tour sur un canot de 6 mètres à Auray, le « Marie Flore », d’avoir une promesse d’embarquement pour être reconnu marin professionnel ».

Passeport et fascicule en poche, Armand Quentel s’envole pour Genève chez un « marchand d’hommes », comme il le dit. Il se retrouve six mois sur un bateau marocain, l’Atlas : du riz à Abidjan, du bois à San Pedro puis en Europe jusqu’à Anvers où le bateau est vendu. « C’est bizarre à dire, mais ces six mois m’ont permis d’apprendre mon métier d’électricien à bord d’un navire. L’équipage était berbère, ils venaient tous du même village. C’est le second, un mec formidable, qui m’a appris le boulot. »

Il embarque ensuite sur des chalutiers à Lorient puis à Concarneau. « C’était une affaire de spécialiste. Ça me plaisait bien. » Du chalut il passe au thon. Il repasse également sur les bancs de l’école, deux ans à Nantes à l’École nationale de marine marchande entrecoupés d’une année de pêche dans l’océan Indien. « Il fallait que je gagne ma croûte. Là, je reconnais qu’on a très bien pêché. »

Le salaire des marins pêcheurs est indexé sur les prises. Armand Quentel parle ainsi du Pic du Loup, nommé ainsi d'après le surnom du patron du navire où il travaillait. Un pic de roche à 200 mètres de fond qui attire les poissons comme un phare. Le mont sous-marin se transforme en île au trésor. « Il paraît qu’il s’appelle Coconut Seamount, maintenant », ironise-t-il en se rappelant l’époque où le GPS, les radars et les sonars n’étaient qu’en germe et savoir où pêcher était un art. Il pêche le thon au large de l’Afrique. « Au large de l’embouchure du Zaïre, il y avait du poisson en dessous des morceaux de terre arrachés par les crues. On restait le soir à jouer aux cartes. Le matin on allait récupérer le poisson. »

Le phénomène est aujourd’hui bien connu et exploité. Les dispositifs de concentration de poisson, les DCP, il ne faut pas trop lui en parler. « Nous, on appelait ça des épaves. Les scientifiques se sont approprié la chose en changeant le mot pour DCP. »

Lors d’une escale technique aux Seychelles il est pris d’un mal de gorge. C’est un cancer. « C’était le premier signal. Cinq ans plus tard, j’ai eu le second. J’étais anormalement fatigué. J’ai fêté mes 55 ans à l’hôpital. Je ne suis jamais retourné naviguer. » Pour celui qui a plus souvent vu les machines que les côtes exotiques, c’est un déchirement. « Il fallait remonter la pente. Sylvie Roux, que je ne remercierai jamais assez, m’a dit qu’on manquait de bras à la CFDT. Ça m’a sérieusement aidé à remettre le pied à l’étrier à défaut de remettre le pied sur un pont. » Celui qui a depuis participé au Grenelle de la mer et est aujourd’hui président d’honneur de la commission environnement et usages maritimes au Comité national des pêches prend son rôle à cœur : défendre l’homme et la nature. « Comment l’océan peut-il continuer à nous nourrir demain ? » s’interroge-t-il.

Pour le septuagénaire, pas question de tomber dans la facilité du « c’était mieux avant ». « J’ai profité de cette époque où on a vu arriver l’hydraulique, l’informatique embarquée. Il y en a qui parlent des Trente Glorieuses. J’ai profité, c’est certain. Pas seulement de manière pécuniaire : à l’époque, marin pêcheur, c’était celui qui ramenait la nourriture. C’était bien vu. »

Un peu comme les agriculteurs, les pêcheurs se retrouvent aujourd’hui sur le banc des accusés d’un système qui a trop demandé à la nature. « Nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Une époque où on connaît nos capacités phénoménales à surpêcher, à surexploiter la nature, à terre comme en mer. » Il faut faire évoluer les méthodes de pêche, changer d’énergie pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et protéger la biodiversité. « Les jeunes marins qui arrivent en ont bien conscience. La suite de leur carrière se fera d’une façon différente ». Comment ? « C’est maintenant qu’il faut réfléchir à l’écriture d’une stratégie nationale pour la mer et le littoral à la hauteur de ce qui se profile ».

Cet interview est extraite de l'Aire marine 59, la lettre d'information de l’Office français de la biodiversité consacrée au milieu marin.

Au sommaire de ce nouveau numéro :

  • Un suivi du plancton transatlantique
  • Une pêche écosystémique
  • Armand Quentel, « Un autre monde s'ouvre »

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